Utiliser le bois local comme ressource principale de construction

Le bois local : une ressource naturelle à portée de main
Dans un contexte où les ressources se raréfient et où l’impact écologique de la construction devient central, le choix des matériaux ne peut plus être guidé uniquement par des considérations économiques ou purement techniques. Et s’il existait déjà, à portée de main, un matériau à la fois performant, renouvelable, et porteur d’une dynamique locale positive ? Le bois local s’affirme progressivement comme une alternative de premier choix, particulièrement dans les régions forestières comme la Suisse. Il est temps d’en explorer les atouts… et les défis.
Une ressource disponible, renouvelable et sous-exploitée
La Suisse est un territoire fortement boisé : près de 31 % du sol est couvert de forêts. Pourtant, moins de la moitié de l’accroissement annuel en bois est exploité. En clair : nos forêts produisent plus que ce que nous utilisons. Ce paradoxe interpelle. Pourquoi importer du bois de Scandinavie ou d’Europe de l’Est alors que nos forêts offrent des essences locales robustes, parfaitement adaptées à notre climat, et souvent issues de filières certifiées (FSC, PEFC) ?
Utiliser du bois local ne signifie pas simplement « acheter suisse ». Il s’agit d’un choix technique et stratégique. Le bois issu des forêts régionales, transformé localement, est de qualité contrôlée, identifiable, et permet de réduire drastiquement l’empreinte carbone liée au transport et à la transformation.
Des qualités techniques qui tiennent la comparaison
Les essences locales – épicéa, sapin blanc, mélèze, chêne ou douglas – rivalisent techniquement avec leurs homologues importés. Le bois suisse présente une densité et une résistance mécanique tout à fait adaptées aux exigences de la construction moderne, que ce soit pour des structures porteuses, des enveloppes de bâtiment ou des éléments décoratifs.
Le mélèze, par exemple, offre une excellente durabilité naturelle, ce qui en fait un choix de prédilection pour les bardages et façades exposées. Le sapin blanc, quant à lui, est prisé pour ses qualités acoustiques en aménagement intérieur. Les bureaux d’ingénierie savent adapter les sections et les assemblages pour tirer le meilleur parti de ces matériaux, même dans des ouvrages complexes ou soumis à de fortes contraintes.
L’impact environnemental : un argument de poids
Le bois est le seul matériau de construction qui capte du CO₂ au lieu d’en émettre lors de sa fabrication. En choisissant du bois local, cet avantage est magnifié : moins de transport, moins de transformation industrielle, et un cycle de vie mieux maîtrisé.
Un mètre cube de bois stocke en moyenne une tonne de CO₂. À l’échelle d’un bâtiment complet, cela représente un véritable puits de carbone intégré à l’environnement bâti. C’est une réponse directe aux objectifs climatiques de la stratégie énergétique 2050 et une manière concrète pour les maîtres d’ouvrage, les architectes et les ingénieurs d’agir à leur échelle.
Favoriser l’économie régionale et les circuits courts
L’intérêt pour le bois local dépasse la seule question environnementale. En s’appuyant sur les filières locales, on stimule l’économie des régions forestières, on valorise le savoir-faire artisanal et on redonne de la valeur aux métiers de la forêt, du sciage et de la charpente. Cela permet aussi de mieux tracer les chaînes d’approvisionnement et de garantir des conditions de travail humaines et éthiques tout au long de la filière.
À l’heure où la résilience territoriale devient un impératif, la construction bois constitue un levier évident de relocalisation des activités. De nombreux cantons encouragent déjà cette logique via des appels d’offres publics exigeant un certain pourcentage de matériaux locaux, ou via des subventions aux filières courtes.
Des exemples concrets : la théorie à l’épreuve du terrain
Au fil des années, plusieurs projets emblématiques ont démontré les possibilités offertes par le bois local. Prenons l’exemple du bâtiment administratif de la commune de Goms (VS), construit entièrement en mélèze et épicéa provenant des forêts environnantes. Ce projet a non seulement permis de diminuer de 40 % les émissions de CO₂ par rapport à une construction traditionnelle, mais a aussi favorisé l’emploi de scieries locales et d’entreprises de charpente régionales.
Autre illustration : le lotissement alpestre de Vrin, dans les Grisons, où chaque maison respecte une logique bioclimatique et un usage exclusif de bois extrait et travaillé dans la vallée. Le résultat ? Des bâtiments intégrés dans le paysage, thermiquement performants, et dont la valeur patrimoniale augmente avec le temps.
Les challenges d’un approvisionnement 100 % local
Reconnaissons-le : utiliser exclusivement du bois local n’est pas toujours simple. Les scieries suisses sont souvent de petite taille et ne disposent pas toujours de l’équipement nécessaire pour répondre à des commandes industrielles. Le séchage et la standardisation des produits peuvent également représenter un frein dans certains projets.
Par ailleurs, toutes les essences locales ne sont pas adaptées à tous les usages. Ainsi, pour des structures particulièrement sollicitées ou des panneaux techniques, les maîtres d’ouvrage peuvent être tentés de se tourner vers des produits importés plus homogènes ou plus facilement disponibles.
Mais ces obstacles ne doivent pas dissuader. Ils invitent plutôt à davantage de planification, d’anticipation, et de collaboration entre concepteurs, ingénieurs et filières bois. C’est d’ailleurs cette logique qui a permis à des projets comme le centre scolaire de Schüpfheim (LU) de s’appuyer à 90 % sur du bois du canton.
Le rôle de l’ingénierie : entre innovation et tradition
L’ingénieur civil a ici un rôle clé : traduire les contraintes du matériau en opportunités structurelles. Le bois local, du fait de son caractère hétérogène et souvent moins standardisé que son équivalent importé, pousse les concepteurs à faire preuve de créativité. Les assemblages traditionnels – tenons-mortaises, chevilles bois – reviennent en force, parfois hybridés avec des solutions contemporaines (connexions métalliques, inserts en résine chargée).
De nouveaux outils, comme les logiciels de calcul bois (Cadwork, Dlubal RFEM, etc.), permettent aujourd’hui d’optimiser les sections et d’individualiser les pièces en fonction des caractéristiques mécaniques relevées lors de la coupe. Le bois n’est plus simplement un matériau noble : il devient un vecteur d’ingénierie de précision.
Vers une nouvelle culture constructive
Valoriser le bois local, ce n’est pas uniquement une affaire de bilan carbone ou d’économie circulaire. C’est aussi une manière de renouer avec une culture constructive ancrée dans les savoirs régionaux, et de redonner du sens à notre manière de bâtir. Là où le béton est normatif et globalisé, le bois local est vivant, spécifique et porteur d’une histoire.
Ne s’agit-il pas, en définitive, de bâtir des bâtiments qui nous ressemblent, reflètent nos paysages, et s’inscrivent harmonieusement dans leur environnement ? Lorsque la structure elle-même raconte quelque chose du lieu, du climat, ou de la forêt d’où elle est issue, le bâtiment devient plus qu’un abri : il devient témoignage.
En somme, utiliser le bois local en construction n’est pas une tendance passagère. C’est un choix réfléchi, cohérent, et porteur d’avenir – à condition de structurer les filières, de former les acteurs, et de concevoir en amont des projets qui tirent pleinement parti de cette ressource précieuse.
La prochaine fois que vous marcherez en forêt, posez-vous la question : et si les poutres de mon futur bâtiment venaient d’ici ?