Le bois au cœur de la transition durable
Matériau ancestral, le bois occupe aujourd’hui une position stratégique dans la recherche de solutions de construction bas carbone. Utilisé depuis des millénaires, il revient en force dans le secteur du bâtiment, dopé par une volonté collective de limiter les émissions et d’améliorer la performance énergétique des infrastructures. Mais peut-on réellement parler de solution durable, si la gestion de cette ressource n’est pas, elle aussi, à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux ?
Dans cet article, je vous propose d’examiner les enjeux et les leviers d’une gestion durable du bois dans l’industrie de la construction. Nous verrons pourquoi tout commence bien avant la mise en chantier, et pourquoi les choix opérés dès l’amont de la chaîne font toute la différence.
Pourquoi le bois a-t-il regagné en popularité ?
Avant de parler de durabilité, un mot sur l’essor du bois dans les constructions neuves. Plusieurs facteurs expliquent ce regain d’intérêt :
- Réduction de l’empreinte carbone : comparé au béton ou à l’acier, le bois stocke du carbone pendant toute sa durée de vie.
- Avantages thermiques : il régule naturellement l’humidité et possède de bonnes performances d’isolation.
- Chantiers allégés : les structures bois sont plus légères, nécessitant moins de fondations et permettant des délais de montage plus courts.
- Esthétique et bien-être : l’architecture modernise l’image du bois, qui séduit aussi par ses qualités sensorielles et son impact positif sur le confort des usagers.
Mais ce tableau ne serait pas complet sans évoquer le revers de la médaille : la pression croissante sur les forêts, les importations lointaines, et parfois, un manque de traçabilité. La gestion durable n’est donc pas une option : elle est la condition sine qua non pour inscrire l’usage du bois dans une trajectoire vertueuse.
Qu’entend-on par gestion durable du bois ?
La gestion durable du bois repose sur une idée simple : utiliser les ressources forestières sans compromettre leur renouvellement naturel ni affecter les écosystèmes associés. Dans le contexte du bâtiment, cela implique une vigilance accrue sur l’origine, la transformation et la mise en œuvre du matériau.
Plus précisément, une approche durable du bois dans la construction repose sur trois piliers :
- La traçabilité : garantir que le bois utilisé provient de forêts gérées de manière responsable.
- La sobriété : optimiser le dimensionnement des structures, réduire les pertes et favoriser la réutilisation.
- Le cycle de vie : envisager le devenir du bois post-construction, dans une logique d’économie circulaire.
Labels et certifications : à quoi se fier ?
Lorsque l’on parle de bois durable, les certifications jouent un rôle central. Elles permettent d’identifier les produits issus de forêts gérées selon des principes écologiques, sociaux et économiques équilibrés. Les deux principales certifications internationales sont :
- FSC (Forest Stewardship Council) : garantit une gestion responsable qui respecte les populations locales, la biodiversité et le climat.
- PEFC (Programme for the Endorsement of Forest Certification) : favorise la certification à l’échelle locale, notamment pour les petites exploitations.
En Europe, on trouve également des labels plus techniques comme le Bois des Alpes ou le Bois Suisse, qui valorisent les circuits courts et les ressources régionales. Ces initiatives méritent d’être saluées, car elles limitent les transports et soutiennent l’économie forestière locale.
De la forêt au chantier : les maillons d’une filière vertueuse
La durabilité du bois ne se limite pas au moment de l’abattage. Elle s’étend à toute la chaîne de valeur. Voici les principales étapes à considérer :
- La récolte raisonnée : limiter les coupes rases, respecter les cycles de croissance, conserver les sols et les habitats naturels.
- Le transport limité : réduire les distances par l’utilisation de bois local ou régional.
- La transformation propre : recourir à des techniques respectueuses de l’environnement (sciage sans traitement chimique, séchage modéré, etc.).
- La conception optimisée : structure bois mixte, préfabrication, élément modulaire permettant réemploi ou démontabilité.
En tant qu’ingénieurs, architectes ou maîtres d’ouvrage, nous avons un rôle clé à jouer pour favoriser cette chaîne vertueuse. Adopter une démarche de projet cohérente et informée permet de faire émerger de réels impacts.
Quelques exemples inspirants de construction bois durable
Impossible de parler du sujet sans illustrer les bonnes pratiques par des projets qui font référence. Voici trois cas concrets qui démontrent que durabilité et performance ne sont pas incompatibles :
- Le bâtiment Espace Tourbillon à Plan-les-Ouates (Suisse) : intégrant du mélèze local certifié, cette réalisation démontre qu’on peut allier exigence structurelle et circuit court.
- Le Centre scolaire Raiffeisen à Brême (Allemagne) : intégralement construit en bois local, avec des panneaux CLT (Cross Laminated Timber), ce bâtiment génère 80 % de CO₂ en moins qu’une structure béton équivalente.
- La résidence Brenac & Gonzalez à Paris : un projet en structure bois mixte (bois/béton), favorisant la préfabrication et la modularité des éléments, pour réduire déchets et impacts logistiques.
Ces exemples montrent qu’à toutes les échelles – du bâtiment individuel à l’équipement public – des solutions techniques et durables existent déjà. Et elles sont loin d’être anecdotiques : elles préfigurent un véritable changement de paradigme.
Économie circulaire et fin de vie des matériaux bois
Construire en bois, c’est aussi penser à l’après. Trop souvent, les matériaux en fin de vie finissent brûlés ou enfouis, alors qu’ils pourraient connaître une nouvelle vie. Le réemploi, encore trop marginal aujourd’hui, constitue l’un des axes de progrès majeurs.
Voici quelques pistes concrètes :
- Prévoir la démontabilité des structures dès la conception (assemblages vissés plutôt que collés ou cloués).
- Miser sur la normalisation des éléments, pour faciliter leur usage ultérieur (dimension standard, nomenclature claire).
- Travailler avec des plateformes de réemploi (physiques ou numériques), qui permettent de valoriser des bois déjà utilisés dans d’autres projets.
En Suisse comme ailleurs, quelques bureaux d’études et de conception commencent déjà à intégrer ces paramètres dans leurs appels d’offres ou leurs itinéraires techniques. Cependant, la massification du réemploi du bois reste à construire… une brique à la fois.
Et le CO₂ dans tout ça ?
Le bois est qualifié de « puits carbone », car il capte et stocke du CO₂ pendant sa croissance. Une fois coupé, transformé puis intégré à un bâtiment, ce carbone reste piégé jusqu’à la fin de vie du matériau. C’est ce que l’on appelle le stockage biogénique.
Mais attention : le bois ne devient un matériau bénéfique pour le climat que sous certaines conditions :
- Si la ressource est renouvelée (plantation, pousse naturelle, équilibre de la coupe).
- Si le cycle de vie est intégré dans sa totalité, y compris la gestion des déchets.
- Si l’on évite le verdissement artificiel de projets qui continueraient malgré tout à dépendre d’une forte empreinte carbone ailleurs (matériaux hybrides mal pensés, transport lointain, etc.).
Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un bâtiment est en bois qu’il est automatiquement écologique. Ce n’est qu’en maîtrisant toute la chaîne de production que ce potentiel peut être pleinement exploité.
Vers une filière bois plus résiliente et responsable
Le bois a incontestablement un rôle stratégique à jouer dans la décennie à venir. Mais pour qu’il le joue correctement, il doit sortir de la logique extractiviste et entrer pleinement dans une dynamique de régénération. Nous sommes nombreux – professionnels du bâtiment, architectes, ingénieurs, urbanistes – à croire à l’avènement d’une filière ancrée dans le respect du vivant et dans les territoires.
Et au fond, le bois nous l’enseigne lui-même : c’est en enracinant les bonnes pratiques que l’on fait pousser des projets durables.