La permaculture appliquée à l’architecture paysagère

La permaculture, un levier pour repenser l’aménagement paysager
Au fil des dernières décennies, le paysage construit est devenu le reflet de nos modes de vie intensifs : zones bétonnées, pelouses à tondre chaque semaine, plantations exotiques peu adaptées, consommant une ressource de plus en plus critique — l’eau. Pourtant, une alternative existe, à la fois plus résiliente, plus durable et surtout plus cohérente avec les enjeux climatiques actuels : la permaculture appliquée à l’architecture paysagère.
Initialement développée pour l’agriculture durable, la permaculture ne se limite pas à la culture vivrière. C’est une approche holistique de la conception, qui trouve toute sa place dans l’aménagement du territoire et la gestion des espaces verts urbains ou ruraux. Mais alors, comment traduire des principes inspirés des écosystèmes naturels dans le contexte bâti ? Et surtout, pourquoi intégrer cette démarche dès la phase de conception architecturale ?
Comprendre la permaculture au-delà du potager
La permaculture repose sur trois grands principes éthiques : prendre soin de la terre, prendre soin des humains et redistribuer équitablement les ressources. Ces principes se déclinent en douze concepts de design, tels que “utiliser et valoriser les ressources renouvelables”, “intégrer plutôt que séparer”, ou encore “utiliser les bordures et valoriser la diversité”.
Appliquée à l’architecture paysagère, cette philosophie encourage à concevoir des aménagements durables, résilients et interconnectés. Il ne s’agit plus seulement de planter de jolies haies autour d’un bâtiment ou de tracer des allées rectilignes pour « structurer » un jardin. Il s’agit de générer des écosystèmes autonomes, productifs et esthétiques.
Autrement dit, aménager un espace extérieur en permaculture, c’est penser sol vivant, captation de l’eau de pluie, biodiversité locale, production alimentaire, mais aussi bien-être humain et esthétique sensible. L’ingénierie rejoint ici l’écologie, dans une logique systémique.
Espaces verts conçus comme des écosystèmes
Prenons un exemple concret : un projet de lotissement résidentiel en zone périurbaine. Plutôt que de raser le terrain pour repartir de zéro, une approche permaculturelle commencerait par un relevé des courbes de niveau, de la typologie du sol et des espèces végétales existantes. Ensuite, les mouvements d’eau sont étudiés pour capter et rediriger les eaux de ruissellement vers des zones plantées, évitant inondations et assèchements. Ces données guident toute l’implantation du projet.
Un tel aménagement pourrait inclure :
- Des haies comestibles en bordure pour séparer les espaces tout en créant un habitat pour la faune
- Des toitures végétalisées qui favorisent l’inertie thermique et la rétention d’eau
- Des systèmes d’agriculture urbaine partagés (jardins potagers, vergers)
- Des sentiers perméables laissant infiltrer l’eau de pluie
- Des zones de plantation choisies selon les principes d’association bénéfique des espèces
Le tout pensé en cohérence avec les usages des futurs occupants, pour que ces lieux soient à la fois fonctionnels, agréables et écoresponsables.
Un outil au service de l’ingénierie du vivant
Ce que permet la permaculture, c’est une planification intégrée. On ne segmente plus l’espace entre le « cadre bâti » (qui relève du gros œuvre) et le « cadre végétal », souvent laissé au paysagiste en fin de chantier. On anticipe les interactions. Un mur orienté sud n’est plus traité comme un simple support, mais comme une surface permettant la culture d’espèces thermophiles. Une pente naturelle devient une opportunité pour créer un jardin en terrasses ou un bassin de phytoépuration naturel.
Des initiatives récentes, notamment dans le sud de la Suisse, montrent l’intégration croissante de ces solutions. À Lausanne, autour de l’écoquartier des Plaines-du-Loup, certains îlots ont été pensés en tenant compte des principes de résilience urbaine inspirés de la permaculture. Collecte des eaux pluviales, sol vivant revalorisé à la parcelle, connectivité des trames végétales : autant d’éléments inspirés directement de cette approche.
Des matériaux bruts et naturels au cœur de la conception
Intégrer la permaculture à la composition des espaces verts oblige également à reconsidérer les matériaux utilisés. Exit le gazon à semer à grands apports d’engrais, les bordures en plastique, les copeaux teintés.
On privilégie :
- Des bois non traités (châtaignier, robinier) pour les clôtures et les mobiliers
- Des roches locales pour la création de restanques ou murets secs
- Des paillages organiques issus de broyats locaux
- Des semences rustiques, reproductibles, favorisant la biodiversité
Ce choix de matériaux n’est pas qu’esthétique ou symbolique. Il influence la durabilité de l’aménagement, sa capacité à évoluer dans le temps sans entretien intensif, et son intégration harmonieuse dans le paysage environnant.
Repenser l’entretien paysager à l’ère du changement climatique
L’un des avantages majeurs de la permaculture est de tendre vers une autosuffisance fonctionnelle. Cela ne signifie pas l’absence totale d’intervention humaine, mais une réduction des interventions énergivores et coûteuses.
Dans un paysage bien conçu :
- Les arbres plantés comme brise-vent protègent les cultures et préservent l’humidité du sol
- Les plantes couvre-sol limitent le désherbage manuel ou chimique
- La fertilité est maintenue par des rotations naturelles et des apports de compost produit sur place
- La biodiversité animale régule les ravageurs de manière naturelle
Résultat : des espaces qui « travaillent pour nous », inspirés du fonctionnement des écosystèmes naturels. C’est à ce titre qu’ils résistent mieux aux bouleversements climatiques (sécheresse, canicules, inondations ponctuelles), tout en fournissant des services écosystémiques mesurables — régulation thermique, capture de CO₂, infiltration de l’eau, pollinisation, etc.
Des freins culturels, mais une dynamique vertueuse en marche
Certes, la permaculture remet en cause des habitudes profondément ancrées dans la façon de penser les espaces. Pour certains maîtres d’ouvrage, l’idée d’un jardin d’aspect « naturel », sans gazon bien tondu ni massifs pigmentés en quinconce, bouscule les repères.
Mais les mentalités évoluent rapidement. De plus en plus de communes, d’architectes et de promoteurs adoptent cette démarche, conscients qu’il ne s’agit plus d’ »écologie décorative », mais d’une réelle réponse aux enjeux environnementaux et sociaux. L’entretien coûteux et énergivore de nombreux parcs traditionnels contribue à cette prise de conscience.
Dans les formations en architecture paysagère comme en génie civil, les modules intégrant la permaculture se développent, parfois en partenariat avec des agronomes ou des écologues. La transversalité devient la norme — et c’est tant mieux, car ce n’est qu’ensemble que l’on peut concevoir des paysages vivants, durables et résilients.
Et si la beauté résidait dans le vivant ?
La permaculture, bien plus qu’une tendance, propose une redéfinition de la beauté dans les espaces construits. Une haie qu’on ne taille qu’une fois par an, mais qui attire les lucioles et les oiseaux. Une mare bordée de plantes comestibles, qui régule la température d’un jardin potager. Un verger partagé où se rencontrent les habitants d’un quartier. Ce sont autant de formes nouvelles d’esthétique urbaine ou rurale, moins figées, mais bien plus vivantes.
En fin de compte, appliquer les principes de la permaculture à l’architecture paysagère, c’est choisir de construire en partenariat avec la nature, et non contre elle. C’est accepter que les formes évoluent, que le sol vive, que l’humain cohabite avec le reste du vivant. C’est surtout accepter que la durabilité passe d’abord par le visible… et par l’invisible.
Alors, la prochaine fois que vous imaginez l’aménagement d’un terrain, la conception d’un espace vert public ou privé, posez-vous cette question simple : et si chaque mètre carré comptait vraiment ?