Biostruct

L’énergie grise des bâtiments, un paramètre souvent négligé

L’énergie grise des bâtiments, un paramètre souvent négligé

L’énergie grise des bâtiments, un paramètre souvent négligé

Comprendre l’énergie grise : au-delà de la performance thermique

Quand on évoque la durabilité d’un bâtiment, la plupart des discussions tournent autour de l’isolation thermique, du choix du système de chauffage ou encore des performances énergétiques en phase d’exploitation. Pourtant, un paramètre tout aussi crucial reste souvent dans l’ombre : l’énergie grise.

Vous vous demandez ce que cela signifie ? Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’une énergie obscure sortie d’un roman de science-fiction. L’énergie grise correspond à toute l’énergie nécessaire pour extraire, transformer, fabriquer, transporter, poser, entretenir et recycler les matériaux de construction. En somme, c’est le « sac à dos énergétique » des matériaux que nous utilisons.

Dans un contexte où chaque kilowattheure compte, il serait dommage — voire incohérent — d’ignorer cet aspect lors de la conception ou de la rénovation d’un bâtiment.

L’énergie grise, c’est où ?

L’énergie grise se cache dans toutes les étapes du cycle de vie des composants d’un bâtiment, bien avant que celui-ci n’accueille ses premiers occupants. Voici quelques sources majeures :

Il suffit de penser au béton : chaque mètre cube nécessite un cocktail énergivore mêlant calcination du calcaire, concassage, transport massif et refroidissement. Pourtant, le béton demeure l’un des matériaux les plus utilisés au monde. Est-ce une fatalité ? Non. Mais cela mérite d’être mis en lumière.

Des chiffres qui parlent

Selon l’ADEME, la part de l’énergie grise peut représenter entre 40 % à plus de 60 % de l’impact énergétique total d’un bâtiment sur une durée de vie de 50 ans. À titre de comparaison, dans une maison passive bien conçue, l’énergie grise peut même dépasser la consommation énergétique due à l’usage quotidien (chauffage, eau chaude, ventilations…). Oui, vous avez bien lu : la maison est « passive », mais pas forcément « sobre » du point de vue de son empreinte cachée.

Exemple concret : un isolant en polystyrène expansé (PSE) possède une très bonne efficacité thermique et reste peu coûteux. Pourtant, sa fabrication est fortement énergivore. À l’opposé, certaines fibres naturelles comme le chanvre, la laine de bois ou le liège présentent une énergie grise nettement plus faible, tout en assurant une performance d’isolation honorable.

Optimiser l’énergie grise : mission impossible ?

Pas du tout. Avec une approche intégrée dès la conception, il est possible de réduire drastiquement l’énergie grise d’un projet. Voici quelques pistes :

L’énergie grise n’est pas effaçable, mais elle peut être intelligemment gérée. C’est une affaire de compromis, de bon sens, et surtout… de volonté en phase de conception.

Le bois : une alternative durable ?

Le bois est souvent cité comme champion de la durabilité. À juste titre : il capte du CO₂ pendant sa croissance, nécessite peu d’énergie pour être transformé et peut, dans certains cas, se réutiliser à l’infini. Mais attention, tout dépend de sa provenance, du traitement appliqué et du mode de mise en œuvre.

Du bois local issu de forêts gérées durablement, scié sur place, est effectivement un excellent choix. En revanche, du bois exotique importé de l’autre bout de la planète avec un traitement chimique intensif a une énergie grise non négligeable. Encore une fois, le diable se cache dans les détails.

Zoom chantier : exemple d’une rénovation « conscience grise »

Sur un chantier de rénovation d’une ferme vaudoise, l’équipe a fait le pari de limiter l’énergie grise au maximum. Alors que la solution initiale prévoyait du béton projeté et des plaques de plâtre neuves, le maître d’œuvre — après étude comparative — s’est tourné vers :

Résultat : un bâtiment dont le cachet a été préservé, un coût de matériaux réduit de 20 %, et une énergie grise divisée par deux. Comme quoi, même des solutions peu technologiques peuvent avoir de grands effets.

Et la réglementation dans tout ça ?

En Suisse, comme dans de nombreux pays européens, la question de l’énergie grise commence (timidement) à faire son apparition dans les législations. L’annexe C de la norme SIA 2032 propose déjà des valeurs de référence en matière d’énergie grise pour différents matériaux de construction. La stratégie énergétique 2050 de la Confédération mentionne aussi cette problématique, sans l’imposer pour autant.

Pour l’instant, les labels restent les leviers les plus efficaces : Minergie-ECO, SNBS ou encore le certificat CO2 du bâtiment intègrent explicitement des critères relatifs à l’énergie grise. Mais rien ne remplace la vigilance — et la formation — des professionnels de la conception et de l’exécution.

Le rôle essentiel des architectes et ingénieurs

Penser à l’énergie grise, c’est aussi changer de paradigme dans la manière de concevoir. Cela implique de sortir de la logique purement thermique ou consumériste pour adopter une vision circulaire et systémique du bâtiment.

Pour les architectes, cela peut signifier privilégier des formes compactes, intégrant des matériaux bruts ou « low-tech ». Pour les ingénieurs, cela passe par des calculs de cycle de vie (LCA) intégrés au cahier des charges, dès les premières esquisses. Et pour les maîtres d’ouvrage ? Cela demande de la curiosité, de l’ouverture, et parfois… un brin de patience face aux solutions hors des sentiers battus.

Car oui, réduire l’énergie grise, c’est aussi rallonger le temps de réflexion. Mais cela ne veut pas dire augmenter les coûts systématiquement. En réalité, nombre de solutions à faible énergie grise sont plus accessibles qu’on ne le croit — surtout si on compte autrement : en kWh économisés plutôt qu’en euros dépensés.

Penser le bâtiment comme un dépôt de ressources

Et si l’on abordait les bâtiments comme des banques de matériaux ? C’est l’approche du « design for disassembly », qui consiste à créer des structures démontables et réversibles. Un mur, un plancher ou une cloison ne doivent plus être vus comme des éléments figés, mais comme des unités aux multiples vies possibles.

Cette logique change tout : elle réduit l’énergie grise à long terme en favorisant la réutilisation future. C’est déjà une réalité sur certains projets pilotes, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas, où des bâtiments entiers sont conçus avec un « passeport matériaux », à l’image d’un carnet de santé pour les composants de l’ouvrage.

Changer de regard pour bâtir autrement

Face à la crise climatique et à la raréfaction des ressources, l’heure n’est plus à l’optimisation à la marge. Il faut repenser nos pratiques, nos priorités, nos indicateurs. L’énergie grise n’est pas un détail technique réservé aux spécialistes : c’est un levier de premier ordre vers une construction véritablement durable.

Et la bonne nouvelle, c’est qu’il ne tient qu’à nous — ingénieurs, architectes, maîtres d’œuvre et usagers — de rendre cette énergie visible, calculée… et maîtrisée.

Alors, prêt à sortir du gris ?

Quitter la version mobile