Toilettes sèches : un choix pragmatique au service de l’architecture durable
Quand on pense à construire durable, on imagine souvent des matériaux biosourcés, des dispositifs de récupération d’énergie ou encore des systèmes de ventilation passifs. Pourtant, une composante essentielle de notre quotidien est souvent reléguée au second plan dans le cadre architectural : les toilettes. Et si les toilettes sèches représentaient une véritable opportunité pour concilier sobriété environnementale, autonomie et design ?
Dans cet article, je vous propose d’explorer comment les toilettes sèches s’intègrent intelligemment dans les projets architecturaux écoresponsables, en alliant fonctionnalité, esthétique et durabilité.
Toilettes sèches : un principe simple pour des bénéfices multiples
Contrairement aux idées reçues, les toilettes sèches ne sont pas uniquement destinées aux cabanes de forêt ou aux chantiers temporaires. Leur principe repose sur une logique simple : séparer les matières et éviter l’usage de l’eau. Il en existe deux grands types :
- Toilettes à compost : elles collectent les matières solides et les mélangent à des matériaux carbonés (sciure, copeaux, chanvre…), permettant leur transformation en compost après un temps de maturation.
- Toilettes à séparation d’urine : elles dissocient l’urine des matières fécales dès leur émission. Cette séparation augmente l’efficacité du compostage et ouvre la porte à une valorisation spécifique de l’urine, notamment comme engrais azoté.
L’avantage immédiat est évident : aucune consommation d’eau. Et dans un contexte où cette ressource devient critique, ce simple paramètre pèse lourd dans la balance d’un projet écoresponsable.
Pourquoi intégrer les toilettes sèches dès la conception d’un bâtiment ?
La réussite d’une intégration technique passe toujours par une planification cohérente. Les toilettes sèches ne font pas exception. Lorsqu’un projet architectural pense dès l’origine à intégrer ce système, plusieurs gains sont possibles :
- Réduction des réseaux d’assainissement : pas besoin de raccorder les toilettes à l’évacuation centrale des eaux usées. On peut réduire voire supprimer certaines canalisations.
- Autonomie en site isolé : en montagne, en zone rurale ou sur écolieu, opter pour des sanitaires sans eau limite la dépendance aux réseaux. Cela peut même être un levier pour rendre constructible une parcelle non raccordée.
- Dimensionnement plus efficient : les capacités de récupération d’eau de pluie, les fosses toutes eaux ou filtres plantés peuvent être calibrés plus finement si les toilettes n’y sont pas reliées.
Un exemple parlant : sur un chantier participatif mené en 2021 dans le Jura, la mise en œuvre de toilettes sèches dans une maison en paille a permis d’éviter la création d’un champ d’épandage coûteux, en préférant un composteur autonome, parfaitement intégré au jardin.
Répondre aux freins culturels et techniques
Parlons franchement. Le blocage principal face aux toilettes sèches n’est généralement pas technique, mais culturel. Peur des odeurs, du manque d’hygiène, ou simplement du changement d’habitude. Pourtant, ces inquiétudes se dissipent rapidement avec une mise en œuvre bien pensée.
Côté confort d’usage, les versions modernes rivalisent de sobriété et d’élégance, alliant matériaux nobles et ergonomie. On trouve aujourd’hui des modèles en céramique, en bois massif ou même en béton ciré, dotés de systèmes de ventilation naturelle ou assistée, discrets et efficaces.
Sur le plan technique, quelques points méritent attention :
- Gestion des volumes : prévoir un accès facile pour le vidage régulier (tous les 4 à 6 mois en usage résidentiel).
- Aération : indispensable pour éviter les mauvaises odeurs. Une ventilation passive bien orientée suffit dans la majorité des cas.
- Filtrage des liquides (pour modèles à séparation) : récupération ou infiltration des urines selon la réglementation locale et le projet.
Intégrer ces paramètres dès la phase de conception réduit largement les contraintes. Et entre nous : faut-il plus d’efforts pour installer des toilettes sèches que pour raccorder un WC à l’égout avec ventilation primaire, clapet anti-retour et trappe de visite ?
Normes et réglementation : où en est-on ?
La France, comme la Suisse, avance doucement vers une reconnaissance pleine des toilettes sèches. En Suisse, l’OFSP (Office fédéral de la santé publique) a plusieurs fois publié des recommandations sur leur utilisation dans des contextes résidentiels et publics. Les cantonales diffèrent : certains cantons sont très permissifs (Vaud, Valais), tandis que d’autres imposent des démarches plus précises.
Il faut aujourd’hui considérer deux documents principaux :
- La norme SIA 206/1 : qui donne les principes généraux pour la gestion des eaux usées, incluant les options non conventionnelles.
- Le Guide pratique de l’ARE : pour l’intégration dans les projets urbanistiques et écologiques d’assainissement durable.
Bon à savoir : pour des projets collectifs (écolieux, petits écoquartiers), certaines aides peuvent être mobilisées, notamment dans le cadre de la réduction des charges environnementales ou de projets pilotes en économie circulaire.
Exemples de projets inspirants en Suisse et ailleurs
De nombreux architectes et concepteurs intègrent aujourd’hui les toilettes sèches comme élément central de leur approche écoresponsable. Quelques exemples :
- Le collectif « Grange-Neuve » à Fribourg : 12 logements en habitat participatif où chaque module est équipé de toilettes sèches design, utilisées depuis plus de 6 ans sans incident majeur.
- Le Pavillon de la Transition de Genève : bâtiment public expérimental ouvert en 2022, avec des toilettes à séparation d’urine reliées à un système de valorisation en engrais, mis en lien avec l’école d’ingénierie HEPIA.
- La Maison autonome de Sainte-Marthe (France) : pionnière dans la réutilisation des effluents, avec un système de compostage intégré au paysage, presque invisible pour les visiteurs.
Ces projets démontrent qu’au-delà de l’aspect utilitaire, les toilettes sèches peuvent devenir un véritable choix architectural – un symbole de cohérence entre habitat et environnement.
Vers une nouvelle norme de confort écologique ?
L’architecture bioclimatique, les low-tech, les circuits courts… et si on ajoutait à cette liste les toilettes sèches comme standard du bâtiment écoresponsable ? Le confort n’est plus uniquement question de canalisation ou de chasse d’eau. C’est une notion évolutive, qui doit s’aligner avec les enjeux de demain.
Choisir les toilettes sèches, ce n’est pas se priver de confort. C’est y ajouter une conscience. Celle de l’économie d’eau, de la valorisation locale des déchets organiques, et d’une autonomie réelle. Pour les architectes, c’est aussi un terrain d’innovation technique et esthétique. Et pour les usagers ? Un petit pas – mais bien pensé – vers un mode de vie plus cohérent avec les ressources limitées de notre planète.
Alors, la prochaine fois que vous dessinerez un plan de maison, une extension ou même un signalétique pour un bâtiment public : posez-vous la question. Et si nous osions repenser les WC, de fond en comble ?