Construire en terre : une vieille idée mais innovante

Construire en terre : une vieille idée mais innovante

Redécouvrir un matériau oublié : la terre crue

Alors que l’industrie du bâtiment cherche à se réinventer pour répondre aux enjeux écologiques et énergétiques d’aujourd’hui, un matériau ancestral fait un retour remarqué : la terre crue. Pendant longtemps reléguée au rang de technique précaire ou dépassée, elle attire aujourd’hui l’attention des architectes, ingénieurs et bâtisseurs soucieux de durabilité. Mais pourquoi ce renouveau ? Et que peut réellement offrir la construction en terre à nos environnements bâtis modernes ?

Un matériau millénaire sous nos pieds

Construire en terre n’a rien de nouveau. Des habitations en pisé, en adobe ou en torchis ont vu le jour sur tous les continents depuis des millénaires. On estime qu’un tiers de l’humanité vit encore aujourd’hui dans des habitats construits à base de terre. Une statistique qui, à elle seule, devrait éveiller notre curiosité sur ce matériau accessible, écologique et local.

En Suisse, les murs en pisé des anciennes fermes ou les cloisons en terre allégée de certaines maisons traditionnelles témoignent d’un savoir-faire qui a été temporairement abandonné au profit du béton et de l’acier. Pourtant, les qualités intrinsèques de la terre, notamment en matière de régulation thermique et hygrométrique, surpassent bien des méthodes modernes.

Pourquoi la terre revient aujourd’hui au centre des discussions ?

La réponse est en grande partie liée à la crise environnementale. Le secteur de la construction est responsable de près de 40 % des émissions mondiales de CO₂, en grande partie à cause de l’usage du béton et de procédés énergivores. Dans ce contexte, la terre se positionne comme une alternative low-tech, circulaire, et vertueuse.

Voici ce qui rend la terre crue si attrayante d’un point de vue durable :

  • Ressource locale : extraite sur site ou à proximité, elle réduit les coûts de transport et l’empreinte carbone.
  • Réutilisable : en fin de vie, un mur de terre peut littéralement retourner à la terre sans impact environnemental.
  • Aucune cuisson : contrairement à la brique cuite ou au ciment, la terre crue ne nécessite pas de transformation énergivore.
  • Inertie thermique : elle participe à un confort intérieur stable sans surconsommation énergétique.
  • Gestion de l’humidité : la terre « respire », ce qui améliore la qualité de l’air intérieur.

Évoluer sans renier la tradition

Quand on parle de construction en terre, l’image de la maison rudimentaire en pisé peut venir à l’esprit. Mais la réalité contemporaine est tout autre. Des techniques innovantes, souvent assistées par des outils numériques, permettent aujourd’hui de moderniser ces savoir-faire ancestraux tout en capitalisant sur leurs qualités naturelles.

L’impression 3D de briques en terre, par exemple, offre une grande liberté de formes tout en respectant la logique constructive du matériau. Des projets tels que « Tecla » en Italie — une maison imprimée en 3D à partir de terre locale — démontrent la fusion possible entre haute technologie et low-tech naturelle.

Études de cas : quand la terre inspire l’architecture moderne

Plusieurs projets remarquables ont vu le jour ces dernières années en Suisse et ailleurs, mettant en valeur la pertinence actuelle de la terre crue.

  • Ricola Kräuterzentrum, Suisse (Herzog & de Meuron) : Ce centre de traitement de plantes médicinales utilise des murs en terre battue issus d’une carrière voisine. Le résultat : un bâtiment à l’esthétique brute mais chaleureuse, parfaitement intégré dans son environnement.
  • Centre de Formation Emmaüs, Genève : Ce bâtiment en pisé mis en œuvre par l’atelier d’architecture Genève a été conçu pour faciliter l’apprentissage et transmettre un savoir-faire. L’esthétique est sobre, mais expressive — à l’image du matériau lui-même.
  • Maison Feuillette, France (1930) : Bien qu’ancienne, elle incarne toujours la pérennité de la construction en terre. Construite intégralement en bottes de paille et en terre, elle affiche une efficacité énergétique remarquable près d’un siècle après son édification.

Ces exemples ne sont pas des exceptions : ils annoncent en réalité un mouvement grandissant dans la profession. De nombreux architectes suisses se forment aujourd’hui aux techniques de construction terre auprès d’ateliers spécialisés ou via l’Université de Fribourg, pionnière dans le domaine.

Freins au développement de la terre crue

Malgré son attractivité, la terre rencontre encore des résistances : culturelles, règlementaires, techniques. Beaucoup la perçoivent comme un matériau peu fiable, fragile ou difficile à standardiser. En réalité, ces freins s’expliquent souvent par un manque de formation au sein des bureaux d’études ou des entreprises de construction. La terre demande une lecture du matériau en amont et une logique constructive peu familière à ceux habitués au béton coulé ou à la maçonnerie sèche.

Les normes suisses, bien que de plus en plus favorables aux constructions durables, n’intègrent encore que partiellement la construction en terre. Ce manque de référentiels techniques complique parfois la mise en œuvre, surtout dans les marchés publics où chaque matériau utilisé doit être homologué.

Mais les progrès sont tangibles : des associations telles que AsTerre Suisse militent activement pour une meilleure reconnaissance légale du matériau, en lien avec les institutions et les formations professionnelles.

La compétence au cœur de la démocratisation

Un mur en terre ne s’improvise pas. Chaque chantier demande une compréhension des sols, un dosage spécifique en argile, sable, graviers. Il faut souvent aménager un espace dédié au malaxage, au séchage, au stockage temporaire. Cela nécessite des compétences que peu d’artisans généralistes maîtrisent encore.

Cependant, la dynamique change. On observe une multiplication des chantiers participatifs, des workshops, et des modules de formation intégrés dans les cursus d’architecture. Le compagnonnage y tient un rôle central, et un mouvement de transmission intergénérationnel se recrée peu à peu, dans un climat d’émulation collective.

Et si demain, le maçon de quartier proposait, aux côtés de briques et d’enduits traditionnels, un mur porteur en adobe ? L’idée peut sembler utopique, mais elle s’impose doucement dans certains cercles professionnels.

Une réponse aux enjeux architecturaux contemporains

Face à la standardisation des formes et des matériaux de la construction moderne, la terre introduit une part de singularité bienvenue. Par sa texture, sa couleur, sa capacité à vieillir et à dialoguer avec le climat, elle enrichit le langage architectural. Chaque chantier devient une pièce unique, conditionnée par la terre disponible sur place.

De plus, en favorisant les matériaux biosourcés et géosourcés, on renoue avec une logique de cycle court et de faible impact environnemental. Le bâtiment devient alors une « peau » vivante, régulatrice, au lieu d’une « boîte » isolée et stérile.

Et maintenant ?

On pourrait croire qu’il s’agit d’un retour en arrière. En réalité, c’est tout l’inverse. Utiliser la terre, c’est avancer avec des outils nouveaux en retrouvant une intelligence ancienne. Il ne s’agit pas de romantiser la terre, ni d’en faire une solution universelle. Il s’agit de l’ajouter à la palette, au bon endroit et au bon moment.

Face aux contraintes économiques, aux impératifs de neutralité carbone, et aux exigences de confort, la terre offre une équation séduisante : sobriété, esthétique et performance. L’essayer, c’est souvent l’adopter.

Alors la prochaine fois que vous verrez une pelleteuse creuser un terrain pour poser les fondations d’un immeuble, posez-vous la question : et si la meilleure matière première, c’était ce qu’on est en train d’évacuer ?

Rayen