La permaculture appliquée à la conception des espaces bâtis

Lorsque l’on évoque la permaculture, bien souvent, l’image qui surgit est celle d’un potager luxuriant, niché au creux d’une vallée, où cohabitent légumes oubliés, herbes médicinales et écosystèmes riches en biodiversité. Et pourtant, au-delà des jardins, les principes de la permaculture trouvent des applications tout à fait pertinentes dans un domaine parfois inattendu : celui de la conception bâtie.
Dans un contexte où la pression environnementale pousse le secteur du bâtiment à redéfinir ses pratiques, la permaculture offre des réponses concrètes, systémiques et adaptées aux enjeux du XXIᵉ siècle. Son application dans l’aménagement des espaces bâtis ne se limite pas à l’intégration du végétal. Il s’agit d’une véritable approche de conception qui remet au centre la logique de coopération entre les éléments, l’optimisation des ressources et la résilience dans le temps.
Qu’est-ce que la permaculture appliquée à l’habitat ?
La permaculture, contraction de « permanent agriculture », a été développée dans les années 70 par Bill Mollison et David Holmgren. Plus qu’un mode de culture, c’est un système global de design qui s’appuie sur les écosystèmes naturels pour concevoir des environnements durables, résilients et régénératifs. Quand on applique ces principes à la conception des espaces bâtis, l’objectif est double :
- Créer des habitations et des infrastructures en harmonie avec leur environnement.
- Réduire l’empreinte écologique tout en améliorant la qualité de vie des usagers.
Dans cette perspective, l’habitat n’est pas une bulle isolée mais un élément intégré au vivant, qui interagit étroitement avec le sol, l’eau, le climat, la végétation, les déchets, l’énergie et ses habitants humains ou non-humains.
Les principes permacoles appliqués à la construction
La permaculture repose sur trois éthiques fondamentales : prendre soin de la Terre, prendre soin des personnes, et redistribuer équitablement les surplus. À partir de ces éthiques découlent douze principes de design, que l’on peut adapter aux enjeux du bâti. En voici quelques-uns, appliqués concrètement à un projet architectural ou urbain :
- Observer et interagir : Avant de poser la première pierre, le site doit être longuement observé. Où se trouvent les points d’ensoleillement ? Quelle est la topographie ? Comment circule l’eau ? Cela évite les erreurs coûteuses et permet de tirer parti des forces naturelles plutôt que de les contrer.
- Capturer et stocker l’énergie : L’intégration de capteurs solaires, de systèmes de récupération d’eau de pluie ou encore de murs trombe, permet de maximiser les ressources disponibles localement.
- Créer des boucles fermées : Le compostage, la phytoépuration ou encore la réutilisation de matériaux issus de la déconstruction d’un bâtiment précédent sont autant de moyens de conserver les flux de matière et d’énergie sur place.
- Favoriser la diversité : Dans le bâtiment aussi, la diversité est source de résilience. Diversité des matériaux, des usagers, des usages dans le temps, créent un lieu vivant, capable de s’adapter.
Ces principes peuvent paraître abstraits à première vue. Pourtant, appliqués avec méthode, ils réenchantent la manière de concevoir notre cadre bâti.
Un cas concret : la maison autonome bioclimatique
En périphérie de Genève, une famille a fait appel à un bureau d’architecture environnementale pour concevoir leur habitat selon des principes de permaculture. Objectif : autonomie maximale, impact minimum.
Premier défi : l’orientation du terrain. Plutôt que de modifier la topographie, la maison a été partiellement semi-enterrée au nord pour bénéficier de l’inertie thermique du sol, et largement ouverte au sud avec des débords de toit calculés pour laisser entrer le soleil en hiver tout en le bloquant l’été.
Le choix des matériaux est essentiel. Exit le béton armé en structure principale — dans ce cas, la maison repose sur un mur en pisé, combiné à des ossatures bois locales non traitées. L’isolation est en ouate de cellulose recyclée, insufflée dans les caissons muraux. La toiture accueille à la fois une végétalisation extensive — vrai coup de pouce à la biodiversité urbaine — et un ensemble de panneaux solaires hybrides qui produisent à la fois chaleur et électricité.
Côté gestion de l’eau, les eaux grises sont filtrées par un système de phytoépuration intégré à un bassin ornemental utilisé aussi pour le jardin. Les eaux de pluie sont stockées dans une citerne souple située sous la terrasse.
Ce projet illustre bien ce qu’implique une approche permaculturelle : observer, comprendre, interconnecter les éléments, pour que chaque composant du système rende service à au moins un autre – voire plusieurs.
Le rôle du design zoné dans la planification des espaces
En permaculture, la notion de « zones » est centrale. Elle permet d’organiser l’espace non pas uniquement selon des critères esthétiques ou administratifs, mais en fonction de la fréquence d’utilisation et des besoins spécifiques de chaque élément.
Par exemple :
- Zone 0 : c’est généralement l’habitation principale. Un bâtiment bien pensé doit répondre aux besoins fondamentaux de ses habitants, tout en réduisant ses besoins en énergie, eau et matières.
- Zone 1 : espaces proches, très fréquentés : potager, composteurs, serre… Cette zone peut inclure aussi un atelier ou un espace de coworking dans le cas d’une résidence productive.
- Zone 2 : arbres fruitiers, petits élevages, infrastructures de gestion d’eau. Ces éléments n’ont pas besoin d’une attention quotidienne, mais restent proches pour un accès facile.
- Zones 3 à 5 : plus éloignées, ces zones peuvent accueillir des activités moins fréquentes – prairies temporaires, zones de régénération forestière, ou simplement des espaces laissés à la nature, contribuant à la biodiversité globale du site.
Ce zoning permet une grande efficacité d’usage, tout en réduisant l’empreinte énergétique liée aux déplacements ou à la maintenance.
Urbanisme et permaculture : une vision systémique
À l’échelle urbaine, la permaculture a aussi son mot à dire. Le quartier Vauban à Fribourg-en-Brisgau ou encore plus récemment l’écoquartier du Trèfle à Genève, intègrent certains enseignements issus de cette approche, même si le terme « permaculture » n’est pas toujours explicitement revendiqué.
Ces projets ont en commun :
- Une priorité donnée à la mixité fonctionnelle (logement, activités, équipements)
- Des déplacements centrés sur les modes actifs (marche, vélo) et les transports publics
- La présence systématique de nature en ville, non pas décorative mais fonctionnelle — récupération d’eau, zones de fraîcheur, corridors écologiques
- La mutualisation du foncier et de certaines infrastructures (buanderies, ateliers, jardins partagés)
Finalement, l’application de la permaculture tend à faire émerger un urbanisme organique, où chaque partie du tout est conçue pour interagir, produire des effets bénéfiques en chaîne et s’inscrire dans une identité locale respectée. On est loin des mégastructures désincarnées ou des lotissements en série.
Des freins… et des leviers
Malgré son intérêt, l’approche permacole appliquée à la construction reste marginale. Pourquoi ? Plusieurs raisons :
- Des réglementations urbanistiques parfois trop rigides, hostiles à l’innovation morphologique ou à l’usage partagé du sol
- Un manque de formation des professionnels du bâtiment aux enjeux systémiques et biologiques
- Une difficulté à faire dialoguer les disciplines : architectes, ingénieurs, paysagistes, urbanistes, écologues parlent souvent des langages trop distincts pour coopérer efficacement
Heureusement, des leviers se mettent en place :
- La montée en puissance des écoquartiers participatifs
- Des labels et certifications qui évoluent vers des logiques de performance globale et non plus uniquement thermique (comme BREEAM Communities, ou HQE Aménagement)
- Une demande sociale croissante pour des lieux de vie plus sains, conviviaux et connectés à leur environnement
Et surtout, un changement de paradigme : celui qui consiste à ne plus voir le bâtiment comme une rupture artificielle avec le monde vivant, mais comme un élément actif d’un écosystème global.
Vers une architecture permaculturelle ?
Appliquer la permaculture à la conception des espaces bâtis, ce n’est pas ajouter trois bacs à tomates sur un balcon ou verdir les toitures pour faire bien sur la photo. C’est réfléchir en profondeur à nos besoins, à ceux du vivant qui nous entoure, et à la manière dont chaque geste architectural peut générer une valeur d’usage, écologique ou sociale durable.
Pour beaucoup, cela suppose de sortir de la posture classique de maîtrise ou de contrôle, pour adopter une posture d’écoute, d’humilité et de coopération. Une manière de bâtir autrement, mais aussi, peut-être, de « habiter » autrement notre rapport au monde.