Le chanvre comme matériau de construction naturel et performant

Le chanvre : un retour aux sources pour une construction durable
À l’heure où la transition écologique s’impose dans tous les secteurs, le bâtiment n’échappe pas à la règle. Le recours aux matériaux biosourcés s’intensifie, et parmi eux, le chanvre fait figure de pionnier. Utilisé depuis des siècles, puis oublié au profit du béton et de l’acier, il connaît aujourd’hui un retour remarqué dans les projets de construction et de rénovation. Mais que vaut vraiment ce matériau naturel ? Est-il seulement écolo ou aussi performant ? Voyons cela en détail.
Qu’est-ce que le chanvre dans la construction ?
Le chanvre industriel (Cannabis sativa L.), contrairement à son cousin psychotrope, possède une faible teneur en THC (moins de 0,2 %) et est parfaitement légal en Suisse comme dans de nombreux pays européens. C’est une plante rustique, cultivable sans pesticide ni herbicide, et qui pousse en trois à quatre mois. Mais son intérêt ne se limite pas au champ.
Dans la construction, ce sont surtout deux parties du chanvre qui sont utilisées :
- La chènevotte : la partie ligneuse de la tige, utilisée dans le béton de chanvre ou l’isolation vrac.
- La fibre : fine et résistante, elle sert à la fabrication de panneaux isolants et autres matériaux composites.
À la croisée de la performance thermique et de la régulation hygrothermique, le chanvre se positionne aujourd’hui comme une réponse pertinente aux défis du bâtiment durable.
Le béton de chanvre : souplesse et sobriété
Le béton de chanvre, aussi appelé « chaux-chanvre », est un mélange de chènevotte, de chaux hydraulique (ou aérienne), et parfois d’un liant supplémentaire comme la pouzzolane. Contrairement au béton classique, il n’a pas de rôle structurel, mais il excelle comme remplissage, doublage ou enduit.
Ce matériau affiche plusieurs avantages :
- Légèreté : idéal pour réduire les charges sur un bâti ancien ou en ossature bois.
- Respirant : évacue l’humidité sans se dégrader, limitant ainsi les problèmes de condensation.
- Performances thermiques : sa faible conductivité thermique (~0,09 à 0,12 W/m.K) en fait un bon isolant pour les murs, les toitures ou les sols.
- Durabilité : insensible aux rongeurs et aux moisissures, il peut se conserver des décennies sans altération.
Une maison construite ou rénovée en béton de chanvre respire. Littéralement. L’air intérieur y est plus sain, avec une régulation naturelle de l’humidité. C’est aussi un confort thermique notable, été comme hiver.
Isolation en fibre de chanvre : une alternative aux laines minérales
Les panneaux ou rouleaux de laine de chanvre sont de plus en plus présents sur les chantiers soucieux d’un impact environnemental faible. Remplaçant avantageusement les laines de roche ou de verre, les isolants à base de chanvre sont tout aussi performants avec un lambda d’environ 0,040 W/m.K – tout à fait comparable aux produits classiques.
Mais ils présentent d’autres atouts :
- Souplesse et confort de pose : pas de fibres irritantes, pas de masque obligatoire – un vrai soulagement pour les artisans.
- Écobilan favorable : faible énergie grise, recyclable, compostable, et issu d’une plante qui capte du carbone pendant sa croissance.
- Résilience en climat chaud : grâce à sa capacité thermique massique, il amortit mieux les pics de chaleur estivale.
Ces isolants trouvent leur place aussi bien en rénovation qu’en construction neuve, en toiture, doublage de murs ou planchers.
Le chanvre sur chantier : un retour d’expérience
Lors d’un projet de rénovation à Bienne, dans une ancienne bâtisse du XIXe siècle, l’équipe a opté pour un enduit chanvre-chaux sur les murs intérieurs. L’objectif : renforcer l’isolation sans dénaturer l’esthétique d’origine. Résultat ? Un gain de confort thermique et une meilleure gestion de l’humidité – le tout avec un matériau local et biosourcé.
Autre exemple plus récent : une maison ossature bois réalisée dans le canton de Vaud, intégrant des murs préfabriqués en béton de chanvre. Outre la rapidité de mise en œuvre, le chantier avait l’avantage d’un faible bruit, peu de déchets, et une finition brute haute en caractère.
Ces retours montrent que les solutions à base de chanvre ne sont pas réservées aux projets « militants » – elles sont mûres pour un usage professionnel, y compris dans des constructions exigeantes.
Un matériau local et adapté au climat suisse ?
La Suisse dispose actuellement de plusieurs initiatives pour relancer la culture du chanvre industriel, notamment dans les cantons de Vaud, Jura et Valais. Bien que la majorité des matériaux à base de chanvre soient encore importés, cette dynamique ouvre des perspectives intéressantes pour une filière locale.
Avec des performances thermiques désormais bien connues, et une résistance à l’humidité adaptée à nos climats alpins, le chanvre trouve toute sa place sur le territoire helvétique. Reste à structurer la filière pour relocaliser la transformation (déchiquetage, défibrage) et réduire les coûts.
Par ailleurs, le chanvre s’adapte bien aux réglementations suisses : son utilisation dans les constructions répond aux critères de la norme SIA 380/1 concernant l’efficacité énergétique.
Des freins encore présents, mais surmontables
Certes, tout n’est pas parfait. Le chanvre reste plus coûteux que les matériaux conventionnels, et son caractère non porteur limite certaines applications. Il nécessite souvent une main-d’œuvre familiarisée avec ses spécificités, notamment pour le béton de chanvre, qui ne s’improvise pas.
De plus, les délais de séchage du béton chanvre (jusqu’à plusieurs semaines selon les épaisseurs et les conditions climatiques) peuvent gêner l’organisation des chantiers.
Mais ces limites doivent être mises en perspective : elles sont contrebalancées par une qualité d’usage, une durabilité et un impact environnemental incomparables. Et avec la formation adéquate, les professionnels intègrent rapidement ces nouvelles techniques.
Vers une généralisation du chanvre dans la construction ?
Aujourd’hui, intégrer le chanvre dans un projet de construction, ce n’est plus faire un pari audacieux – c’est faire un choix raisonné. Que ce soit pour sa performance thermique, sa faible empreinte carbone ou son confort d’usage, le chanvre se défend face aux matériaux dits « standards ». Il répond objectivement aux exigences actuelles, voire les anticipe.
Et surtout, il change le regard sur l’acte de bâtir. En travaillant un mur en béton de chanvre, on ne boutisse pas seulement un ouvrage – on façonne un environnement plus sain, plus durable, plus vivant. C’est sans doute cela que de plus en plus d’architectes, de maîtres d’ouvrage et d’artisans redécouvrent.
Au fond, utiliser le chanvre, c’est peut-être revenir à une question fondamentale : construire, oui, mais à quel prix pour la planète et ceux qui l’habitent ?