Le rôle des labels écologiques dans le choix des matériaux de construction

Choisir les bons matériaux de construction ne se limite plus aujourd’hui à des critères de performance mécanique ou de coût. L’impact environnemental entre désormais dans l’équation, et les labels écologiques se positionnent comme des repères essentiels. Mais peut-on réellement s’y fier ? Leurs différences sont-elles significatives ? Jetons un œil critique et appliqué sur ce que ces labels nous disent – ou ne nous disent pas – à travers le prisme du chantier durable.
Pourquoi intégrer des critères écologiques dans le choix des matériaux ?
Face à l’urgence climatique, le secteur du bâtiment — responsable de près de 40 % des émissions de CO₂ mondiales selon l’Agence Internationale de l’Énergie — est sommé de réduire son empreinte. En Suisse, les normes environnementales se durcissent, et les maîtres d’ouvrage comme les architectes s’alignent de plus en plus avec les objectifs de durabilité fixés par la stratégie énergétique 2050. Dès lors, le choix des matériaux ne peut plus se contenter d’une logique « coût/performance ». Il faut intégrer le cycle de vie, l’énergie grise, la recyclabilité, et… les labels écologiques.
Les labels ne sont pas une mode passagère. Ils simplifient des données complexes, comme l’impact carbone ou la toxicité des composants, en un langage accessible. Mais leur profusion peut aussi dérouter, voire induire en erreur si on ne connaît pas bien leur champ d’application.
Label écologique : qu’est-ce que c’est concrètement ?
On parle de label écologique lorsqu’un produit ou service est certifié selon un ensemble de critères environnementaux déterminés par un organisme tiers. Contrairement aux simples allégations marketing (« éco », « vert », « durable ») difficilement vérifiables, un vrai label repose sur :
- Une méthodologie claire d’évaluation (souvent basée sur une analyse du cycle de vie)
- Des critères segmentés (émissions de CO₂, ressources renouvelables, pollution, durabilité, etc.)
- Un audit ou une vérification indépendante
- Une transparence vis-à-vis des utilisateurs finaux
Tous ces éléments sont cruciaux pour juger de la fiabilité du label. Il convient donc de différencier les labels sérieux des simples logos décoratifs — ce qu’on appelle parfois le « greenwashing graphique ».
Les principaux labels présents dans le secteur du bâtiment
Voici une sélection représentative des labels les plus courants sur les matériaux de construction en Suisse et en Europe. Chacun a son domaine de prédilection :
- Natureplus : très utilisé pour les matériaux de finition et d’isolation, il garantit une faible émission de polluants intérieurs, l’absence de substances nocives, et une production responsable. Idéal pour ceux qui cherchent une approche globale orientée santé et environnement.
- FSC/PEFC : spécifiques au bois, ces labels assurent une gestion forestière durable. Attention toutefois : un bois labellisé FSC n’est pas forcément « local » ou à faible empreinte carbone.
- Écolabel européen : appliqué à certains produits de construction (revêtements, peintures, colles), il impose des critères stricts sur la toxicité des composants et les performances environnementales.
- Blauer Engel : label allemand exigeant, focalisé sur la santé intérieure et l’impact environnemental cycle de vie complet. Très pertinent pour les isolants et produits de finition.
- Cradle to Cradle : philosophiquement ambitieux, il intègre non seulement le recyclage mais aussi l’idée de réintégration circulaire dans un nouveau cycle de production. Encore peu appliqué aux matériaux lourds (béton, acier), mais prometteur dans les éléments modulables.
Il faut noter que très peu de matériaux disposent d’un unique label. La majorité des produits combinent plusieurs certifications, suivant les exigences du fabricant, la destination d’usage et les marchés visés. Pour le professionnel de chantier, savoir les lire et les interpréter devient une compétence stratégique.
Labels et analyse du cycle de vie : le lien fondamental
Un label écologique n’a de sens que s’il est adossé à une évaluation cohérente du cycle de vie complet du matériau. C’est-à-dire : de l’extraction des matières premières, à la fabrication, au transport, à l’usage, et enfin à la fin de vie (recyclage ou mise en décharge).
En France et en Suisse, l’outil majeur de cette approche est la Déclaration Environnementale Produit (DEP) ou FDES (Fiches de Déclaration Environnementale et Sanitaire). Elle permet d’analyser la performance d’un matériau sur plusieurs indicateurs environnementaux. Toutefois, seules certaines DEP aboutissent à une labellisation : toutes ne le font pas. D’où la vigilance nécessaire du professionnel averti.
Un exemple fréquent : un isolant en laine de roche produit localement sans label pourra, au final, avoir une performance environnementale supérieure à un matériau labellisé importé – comme une fibre de coton venant d’Asie – si le critère transport/carbone est prioritaire.
Labels et chantiers : comment les intégrer efficacement ?
Sur un chantier, les délais et les coûts dominent la prise de décision. Mais ignorer les labels peut être une erreur à moyen terme : ils influencent de plus en plus la qualité perçue, la durabilité et les possibilités de subventions ou de crédits fiscaux pour des projets certifiés (HQE, Minergie, DGNB…).
Voici quelques recommandations pratiques issues de retours terrain sur chantiers en Suisse romande :
- Intégrer les critères de labellisation dès la phase d’appel d’offres : cela évite les surprises en phase d’exécution et aligne les fournisseurs dès le départ.
- Faire appel à un conseiller environnement du bâtiment : il peut aider à pondérer les labels en fonction des priorités du projet (faible énergie grise ? matériaux locaux ? non-toxicité ?).
- Former les équipes de chantier : savoir repérer un label fiable, comprendre sa portée, vérifier sa présence sur un produit livré… Autant de gestes simples mais rarement formalisés.
- Mettre en parallèle labels et coûts sur la durée : certains matériaux plus chers à l’achat s’avèrent plus performants et durables (donc économiquement viables) à horizon 20 ans.
Un chef de chantier de Lausanne confiait récemment : « On s’est rendu compte que commander un isolant non labellisé, c’était gagner 5 % sur le moment, mais perdre la possibilité d’obtenir la validation HQE sur tout le bâtiment. Résultat : requalification complète du devis. » Un exemple édifiant… et malheureusement assez courant.
Les limites : tout ce qui brille n’est pas toujours vert
Il faut cependant éviter l’angélisme. Tous les labels, même les plus rigoureux, ont leurs limites :
- Ils ne prennent pas toujours en compte le contexte local (par exemple, le transport longue distance ou l’impact sur la biodiversité locale).
- Certains critères (comme la toxicité de certains composants) varient fortement d’un label à l’autre.
- La présence « d’un » label ne signifie pas forcément supériorité « globale » du produit.
La question à se poser est donc : ce label répond-il aux priorités réelles de mon chantier ? Un chantier public à Genève n’aura pas les mêmes contraintes qu’un projet résidentiel isolé dans les montagnes valaisannes. Adapter les choix en fonction du contexte reste la clef.
Vers une harmonisation et une meilleure lisibilité ?
Certains organismes œuvrent pour une standardisation des labels à l’échelle européenne (programme LEVEL(s), normes EN 15804, etc.). L’objectif : permettre une comparaison objective, critère par critère, entre matériaux de différentes provenances. Cela prend du temps, mais les outils numériques associés (base Inies, Deklarator en Suisse alémanique, ÖKOBAUDAT en Allemagne) facilitent de plus en plus cette transparence.
En parallèle, les logiciels de modélisation BIM intègrent désormais les données environnementales labellisées, permettant aux architectes et ingénieurs d’anticiper l’impact dès la phase de conception. Un gain de temps… et souvent un levier de crédibilité envers les maîtres d’ouvrage.
Derniers conseils pour les professionnels du secteur
Dans un contexte où la réglementation devient plus exigeante, et où les clients finaux (particuliers comme collectivités) sont de mieux en mieux informés, ignorer les labels n’est plus une option viable. Pour les intégrer efficacement, gardez en tête :
- Comparez d’abord les critères, pas les logos : deux labels différents peuvent dire la même chose… ou l’inverse.
- Utilisez les DEPs/Fiches FDES comme base, et croisez-les avec les certifications tierces.
- N’oubliez pas les enjeux de santé intérieure — encore souvent négligés – où des labels comme Natureplus ou Blauer Engel apportent une vraie valeur ajoutée.
- Pensez « performance globale » sur le cycle de vie, et non économie immédiate.
Choisir un matériau, ce n’est pas uniquement cocher une case réglementaire. C’est poser un acte structurant pour la performance globale du bâtiment. Les labels, bien interprétés, sont alors des alliés précieux. Comme souvent, c’est la capacité à poser les bonnes questions en amont qui permettra d’éviter les mauvaises surprises en aval.
Et vous, quelle place réservez-vous aux labels sur vos chantiers ? Simple bonus ou véritable critère de décision ?