Urbanisme régénératif : bâtir en restaurer la biodiversité

Urbanisme régénératif : bâtir en restaurer la biodiversité

Urbanisme régénératif : une nouvelle manière de penser la ville

Et si, au lieu de simplement limiter les dégâts environnementaux de la construction urbaine, on allait plus loin ? Si les villes devenaient des écosystèmes capables de restaurer la biodiversité, de purifier l’air et de réparer les sols ? C’est précisément la promesse de l’urbanisme régénératif. Un changement de paradigme qui intrigue autant qu’il bouscule : dans un secteur historiquement extractif, comment redonner plus que ce que l’on prend ?

Loin d’être une utopie, cette approche s’appuie sur des principes concrets, des méthodes éprouvées et des retours d’expérience de plus en plus nombreux à travers le monde. Dans cet article, je vous propose d’explorer en profondeur ce qu’est l’urbanisme régénératif, comment il transforme notre manière de construire, et surtout, comment le mettre en œuvre sans tomber dans le greenwashing.

De la durabilité à la régénération : une évolution nécessaire

Depuis plusieurs décennies, l’urbanisme durable s’est imposé comme une réponse aux impacts de l’expansion urbaine : bâtiments passifs, limitation des émissions de gaz à effet de serre, gestion des eaux, etc. Mais cette approche, essentiellement axée sur la réduction des impacts, a ses limites. Elle conduit souvent à simplement « faire moins mal », sans réellement inverser la tendance de dégradation écologique.

L’urbanisme régénératif propose un cap encore plus ambitieux : il s’agit non plus seulement de limiter les dommages, mais de créer des environnements bâtis qui améliorent activement la santé des écosystèmes locaux. On pourrait résumer cette vision ainsi : passer du « net zéro » au « net positif ».

Une approche systémique ancrée dans le vivant

Le principe fondamental de l’urbanisme régénératif ? Reconnecter le bâti aux cycles naturels. Cela requiert une compréhension fine des écosystèmes locaux, des cycles hydrologiques, des sols, de la faune et de la flore. Contrairement aux projets standardisés, les projets régénératifs ne peuvent être conçus hors-sol : ils émergent de la singularité du territoire.

Voici quelques piliers essentiels de cette approche :

  • Restauration des écosystèmes locaux : Réintroduction d’espèces végétales indigènes, revitalisation des couloirs écologiques, lutte contre l’érosion des sols.
  • Gestion intégrée de l’eau : récupération des eaux de pluie, infiltration naturelle, épuration biologique par phytoremédiation.
  • Neutralité, voire positivité énergétique : bâtiments qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment, via des sources renouvelables locales.
  • Matériaux biosourcés et circulaires : usage de matériaux locaux, réemploi, faible impact carbone, biodégradabilité.

Mais l’un des éléments les plus riches de cette démarche réside peut-être dans sa posture : il ne s’agit pas uniquement d’adopter trois outils techniques, mais bien de transformer la culture du projet et sa gouvernance, en intégrant étroitement les communautés locales dès la conception.

L’exemple du quartier du Vallon Vert à Liège

Un projet qui incarne cette ambition est celui du « Vallon Vert » à Liège (Belgique), mené depuis 2017. Sur un ancien site industriel de 13 hectares, la ville s’est engagée à régénérer un vallon très dégradé, où la biodiversité avait été presque entièrement effacée par les sols pollués et les remblais.

Les urbanistes ont collaboré avec des écologues, des hydrologues et les habitants pour créer un quartier où l’eau est traitée comme une ressource précieuse, le sol comme un vivant à réparer, et les équipements publics comme des lieux d’accueil de biodiversité. Plus de 40 % du site sont aujourd’hui entièrement réservés à des écosystèmes restaurés : zones humides reconstituées, prairies fauchées tardivement, corridors pour les amphibiens.

Résultat ? En trois ans d’occupation, plusieurs espèces d’oiseaux nicheurs sont revenues, la faune des eaux stagnantes a triplé selon les relevés de l’université de Liège, et les premières récoltes issues des potagers communautaires ont été célébrées dans le square central… où les bancs sont en bois local et le couvert végétal choisi en concertation avec les riverains.

Le rôle déterminant des matériaux de construction

Dans une perspective régénérative, les matériaux n’ont plus uniquement pour exigence d’être performants ou durables. On vise désormais une synergie avec le vivant : apport d’oxygène, absorption de CO₂, filtration des particules fines, ou même habitats pour insectes et oiseaux.

Certains matériaux émergent comme de véritables alliés :

  • Le bois massif non traité : en plus de stocker du carbone, il crée un environnement intérieur sain et participe souvent à l’économie forestière régionale.
  • Le mycélium : ce matériau fongique en cours d’expérimentation possède des propriétés isolantes, détoxifiantes, biodégradables… et peut même se reconstituer.
  • La terre crue : non cuite, elle absorbe l’humidité, régule la température et s’intègre dans un cycle entièrement circulaire sans déchets.

À condition, bien sûr, que leur origine, leur transformation et leur intégration dans le projet soient pensées en cohérence avec les dynamiques locales.

Des bâtiments qui dialoguent avec l’écosystème

L’un des concepts intrigants liés à l’urbanisme régénératif est celui de « bâtiment vivant » (ou living building). Ces constructions sont conçues non pas comme des objets figés, mais comme des entités évolutives, en interaction constante avec leur environnement : captation des flux solaires, régulation naturelle de l’humidité, pollinisation via des toitures végétalisées, etc.

Un exemple inspirant ? Le Bullitt Center à Seattle, qui est auto-suffisant en énergie et en eau, construit avec des matériaux non toxiques, et capable de capter et filtrer des quantités significatives de CO₂ grâce à ses surfaces végétalisées. Mais surtout, il est ouvert à la communauté locale : un bâtiment public, vivant, et… instructif. On y trouve même des capteurs publics qui indiquent en temps réel les flux environnementaux du bâtiment.

Des barrières encore bien réelles (mais surmontables)

Passer à l’urbanisme régénératif, c’est tout sauf neutre. Cela suppose un changement profond des habitudes : sortir des standards, revisiter les réglementations, convaincre des maîtres d’ouvrage parfois sceptiques. Plusieurs freins existent :

  • Les normes urbanistiques actuelles qui ne reconnaissent pas encore certaines solutions basées sur la nature comme « techniques valides » (notamment pour la gestion de l’eau).
  • Le manque de formation interdisciplinaire : écologues, architectes, ingénieurs et collectivités doivent apprendre à travailler ensemble, ce qui n’est pas automatique.
  • La pression économique sur le foncier : rendre une portion du terrain à la nature peut être perçu comme un manque à gagner.

Mais de plus en plus de collectivités, notamment en Suisse alémanique et en France, commencent à intégrer des critères régénératifs dans leurs appels d’offres. Le changement avance, même s’il peut paraître discret.

Premiers pas vers un projet régénératif : par où commencer ?

Vous êtes maître d’œuvre, urbaniste ou élu local et vous vous demandez comment amorcer ce type de démarche ? Voici quelques pistes concrètes :

  • Commencez par écouter le territoire : quelles sont ses ressources naturelles, ses carences écologiques, ses dynamiques sociales ?
  • Impliquez les usagers dès la phase zéro : ils connaissent souvent les sols vivants bien mieux que les bureaux d’études.
  • Travaillez avec des écologues dès la conception, et non simplement en phase d’évaluation ou d’impact.
  • Créez un prototype : un petit aménagement régénératif (par exemple un jardin de pluie ou une toiture biodiversifiée) permet souvent de démontrer les bénéfices avant de généraliser.

L’urbanisme régénératif est une discipline exigeante, mais profondément enthousiasmante. Elle redonne au métier de bâtisseur une dimension presque artisanale, où chaque geste compte, où chaque choix technique devient porteur de sens. Et surtout, elle nous rappelle que la ville n’est pas obligée d’être une rupture avec la nature. Elle peut en devenir une continuité vivante.

À une époque marquée par l’érosion de la biodiversité, l’artificialisation des sols et l’accélération climatique, il semble plus que jamais nécessaire de redéfinir notre rapport à la construction. Non pas pour freiner l’élan urbain, mais pour lui redonner une direction capable de restaurer le vivant.

Après tout, que deviendraient nos villes si, plutôt que de s’accrocher au béton lisse, elles prenaient racine dans la complexité fertile des sols qu’elles recouvrent ?

Rayen