Réduire l’empreinte carbone des chantiers grâce à des méthodes durables

Le secteur du BTP représente à lui seul une part significative des émissions de gaz à effet de serre, notamment via la phase de chantier. Béton, énergies fossiles, déplacements répétés, gaspillage des ressources : le chantier est un véritable gouffre carbone, souvent sous-estimé comparé aux matériaux eux-mêmes. Heureusement, des alternatives existent et s’affinent. Et si on repensait le chantier, non pas comme une fatalité carbone, mais comme une opportunité de transformation durable ?
Pourquoi les chantiers pèsent si lourd dans la balance carbone ?
Avant de parler de solutions, il est indispensable de cerner le problème. L’empreinte carbone d’un chantier ne se limite pas à la fabrication des matériaux. Elle englobe :
- Le transport des matériaux et des engins (souvent diesel),
- La consommation d’énergie sur site (chauffage, éclairage, machines),
- La gestion des déchets (et leur traitement),
- Les déplacements humains (ouvriers, conducteurs de travaux, etc.),
- Les surstocks, erreurs de commande ou de pose générant du gaspillage,
- Le recours systématique à des processus intensifs en carbone par habitude ou manque de solutions mieux intégrées.
En moyenne, selon l’ADEME, un chantier standard émet plusieurs dizaines de tonnes de CO₂, rien que pour la phase d’exécution. Pour les grands projets d’infrastructure, ce chiffre explose. Et chacun peut en témoigner : nous avons tous croisé un chantier éclairé toute la nuit… pour rien.
Organisation du chantier : la première brique de la sobriété
La réduction de l’empreinte carbone commence dès la phase de préparation. C’est dans la capacité à anticiper et à planifier intelligemment que réside l’un des plus grands leviers d’action.
Voici quelques axes concrets :
- Approvisionnement local : Privilégier des fournisseurs régionaux permet de réduire significativement les émissions liées au transport. Il est surprenant de constater qu’un gravier local, s’il évite 200 km de camion, peut faire chuter l’impact de façon non négligeable.
- Méthodes Lean Construction : Inspirées du monde industriel, ces approches visent à éliminer les gaspillages (temps, ressources, déplacements) en rationalisant chaque étape du chantier. Moins d’imprévus = moins de trajets inutiles = moins de CO₂.
- Phasage intelligent du chantier : Un bon séquençage limite les machines en stand-by, optimise les flux logistiques sur site et réduit les temps morts énergivores.
Un exemple frappant est celui d’un projet pilote mené à Lausanne en 2022, où la simple réorganisation des lots a permis de réduire de 25 % les déplacements d’engins sur site. Un effort organisationnel, sans même avoir changé un matériau.
Des équipements plus verts, c’est possible
Les engins de chantier thermiques sont depuis longtemps des sources majeures d’émissions. Or, la transition vers des solutions plus propres est en cours, bien qu’encore balbutiante.
Quelques pistes à explorer :
- Engins électriques ou hybrides : De plus en plus de fabricants proposent aujourd’hui des pelles, nacelles ou compacteurs alimentés électriquement. Leur recharge peut être couplée à des générateurs solaires mobiles, point que nous évoquons plus loin.
- Mutualisation du matériel : Plutôt que d’avoir cinq bulldozers stationnés et peu utilisés, pourquoi ne pas les mutualiser entre chantiers ? Des plateformes logistiques commencent à proposer des services en ce sens.
- Maintenance préventive : Un engin bien entretenu consomme moins, fonctionne mieux – et durera plus longtemps. Là aussi, un petit effort peut éviter bien des surconsommations invisibles.
Énergie sur site : viser l’autonomie renouvelable ?
L’alimentation énergétique du chantier est un poste souvent négligé. Pourtant, nombre de chantiers temporaires fonctionnent encore grâce à des groupes électrogènes diesel, bruyants, polluants, et inefficaces.
Une tendance émerge : autonomiser les chantiers en énergie via des systèmes solaires mobiles et des batteries de stockage. On pense ici aux:
- Unités de production mobiles alimentées par panneaux photovoltaïques,
- Container-batteries pour stocker l’énergie et lisser la consommation,
- Chauffages de chantier à biomasse ou infrarouges, moins énergivores,
- Systèmes LED basse consommation pour l’éclairage de nuit.
Dans un chantier pilote réalisé à Genève, l’entreprise a alimenté sa base-vie et son éclairage entièrement grâce à une centrale solaire temporaire. Résultat : 0 litre de diesel consommé pendant 6 mois d’activités. Une prouesse à généraliser.
Réemploi et gestion des matériaux : rien ne se perd… vraiment ?
Autre levier oublié mais essentiel : ce que l’on fait des matériaux. Chaque tonne de gravats, de palettes ou de ferrailles transportée en déchèterie est une tonne d’énergie gaspillée. Pensons plutôt en termes de filières et de réemploi.
Concrètement, les meilleures pratiques incluent :
- Tri strict à la source : permettre à chaque déchet de trouver une filière de réutilisation via un tri optimisé dès le chantier (béton, bois, isolant, plâtre… on peut souvent trier plus qu’on ne croit).
- Réemploi in situ : Concasser les bétons pour les réutiliser en sous-couche, récupérer les bois pour faire du coffrage temporaire, etc.
- Critères carbone dans les appels d’offres : De plus en plus de maîtres d’ouvrages intègrent désormais le taux de réemploi comme critère contractuel pour encourager ces pratiques.
D’ailleurs, la Banque Cantonale de Zurich impose désormais qu’au moins 30 % des matériaux non-structurels proviennent de réemploi dans ses nouveaux bâtiments. Une évolution que l’on espère contagieuse.
Impliquer les équipes : la clé humaine de la durabilité
Il serait illusoire de penser qu’un chantier peut devenir durable sans ses équipes. Formation, sensibilisation, responsabilisation : autant de leviers cruciaux.
Voici quelques exemples d’initiatives efficaces :
- Formations au tri sur chantier : Comprendre les enjeux, savoir reconnaître les flux, participer activement au processus de réduction de déchets.
- Challenge bas-carbone : Certaines entreprises organisent des concours internes entre chantiers pour réduire consommation et déchets. Ludique, stimulant, efficace.
- Kits d’affichage et indicateurs visuels : Rien de tel que des compteurs visibles de déchets évités ou de litres de carburant économisés pour donner du sens au quotidien des équipes.
Une anecdote personnelle à ce sujet : sur un chantier de rénovation de bâtiment tertiaire, nous avions installé un simple tableau avec les quantités de matériaux valorisés chaque semaine. Quelques semaines plus tard, les équipes proposaient d’elles-mêmes de nouveaux axes d’amélioration. Le levier collectif reste de loin le plus puissant.
Et si l’on repensait complètement le chantier ?
Plutôt que de réduire les dégâts à posteriori, pourquoi ne pas imaginer des chantiers conçus dès le départ avec une approche durable ? Certains projets intègrent déjà l’analyse du cycle de vie dès la conception du bâtiment… Alors, pourquoi pas du chantier ?
Des solutions d’avenir commencent à émerger :
- Chantiers modulaires : Utilisation d’éléments préfabriqués pour minimiser les aléas et temps d’intervention sur site.
- Jumeaux numériques : Simulation 3D du phasage de chantier pour en optimiser chaque paramètre, en intégrant l’empreinte carbone.
- Partage d’infrastructures inter-chantiers : Bases-vie communes dans les quartiers en construction, mutualisation des grues et des machines, etc.
Ces pratiques sont encore émergentes, certes, mais elles dessinent des pistes prometteuses. Et si demain le chantier devenait lui-même une vitrine de la ville durable ?
Réduire l’empreinte carbone des chantiers n’est plus une option ni une utopie. C’est une nécessité opérationnelle, environnementale et stratégique. Et les solutions sont déjà là : il ne tient qu’à nous de les activer avec méthode et pragmatisme. La transformation est en marche – et chaque acteur du chantier peut en devenir le vecteur.